Mémoires du Passé

Par l’un des propriétaires René BERTRAND

 

Entre la chute de Louis-Philippe et l’avènement de Napoléon III, l’année 1850 porte le deuil d’Honoré de Balzac mais en contrepartie, donne à la France deux écrivains de talent : Guy de Maupassant et Pierre Loti. C’est en cette année là que Charles-Joseph Bertrand, employé aux tuileries Bourgeat de la Combe des Eparres, va se lancer dans l’aventure en montant sa propre fabrique de tuiles à Doissin.

René, dernier de la lignée Bertrand, âgé aujourd’hui de quatre-vingt deux ans, nous raconte l’épopée de la tuilerie. « Dès le début et pendant trois générations, les Bertrand ont produit des tuiles faites presque entièrement à la main et cuites au four à bois. On extrayait l’argile dans les marais tout proches de Doissin et on la stockait jusqu’aux premiers beaux jours, époque de l’année où l’on commençait la fabrication proprement dite.

 

La première méthode d’élaboration de la pâte à tuile ou à brique était assez rudimentaire. Dans un grand bac creusé à même le sol et tapissé de pierres taillées, on pétrissait l’argile additionnée d’eau jusqu’à obtenir un mélange homogène prêt à être moulé, séché et passé au four.

Plus tard, vers la fin du XIX° siècle, on utilisera un malaxeur activé par un cheval qui a notoirement amélioré la tâche. Au début du XX° on fera l’acquisition d’un moteur à pétrole dont le faible rendement ne donnera pas la satisfaction escomptée. Enfin, en 1923 (année de naissance de René Bertrand) on se dotera d’un moteur électrique de neuf chevaux qui facilitera le travail.

 

Pour ce qui est du façonnage, au début, il se faisait à la main sur des moules de bois. Plus tard, les presses à vis ont pris la relève et les tuiles en sortaient avec, en relief, la marque « Bertrand Doissin ». On fabriquait alors tuiles plates (mécaniques) ou creuses (dites romaines) qui, après moulage, devaient sécher avant cuisson, afin d’éviter un surplus d’humidité dans le four.

Dès que 14.000 tuiles avaient été moulées, on chargeait le four à la gueule, en obstruait l’entrée avec des briques réfractaires scellées de glaise et on commençait l’opération qui durait une centaine d’heures. Environ cinq-cents fagots de 2,50 m de long, étaient nécessaires. On se relayait jour et nuit pour les enfourner car il ne s’agissait pas de rater une cuisson qui n’était, par ailleurs, pas toujours réussie. Une fois le four refroidi, on empilait les tuiles et les briques avec soin pour les présenter à la vente.

Les clients venaient eux-mêmes chercher ce dont ils avaient besoin, mais l’entreprise assurait aussi la livraison à domicile. C’est d’ailleurs à l’occasion de l’une d’elles, en 1866 à Ruy, que mourut Charles-Joseph Bertrand, fondateur de la tuilerie, écrasé par une charrette dont le cheval s’était emballé.

 

Quelques années avant la dernière guerre mondiale, en 1933, la tuilerie Bertrand n’étant plus rentable faute d’être modernisée, se voit contrainte de fermer définitivement ses portes »